Les mentions dans les médias
L'échangisme au Québec
Le dernier des tabous & son acceptation sociale
Par Marie-Andrée Boisvert, avril 2002
Marie-Andrée Boivert est étudiante en journalisme à l'Université du Québec à Montréal (UQAM).
L'ambiance est feutrée à la lueur des chandelles. Julie et Philippe écoutent consciencieusement le grand maître leur expliquer les règles du jeu. La gêne et la tension sont palpables. Ils ont pris la décision ensemble et ont choisi de goûter au fruit défendu. Comme Adam et Ève, ils ne savent pas à quoi ils s'exposent, mais la tentation est plus forte que tout. En disciples convaincus, ils ont dû laisser loin derrière leurs principes judéo-chrétiens pour adhérer à une nouvelle religion : l'échangisme. Leurs dernières peurs et appréhensions s'évanouissent sur les paroles réconfortantes de leur gourou : « Non, l'échangisme ce n'est pas une secte de malades, ce sont des gens qui aiment le plaisir, qui ont réalisé que la vie n'était pas longue sur Terre et qu'il fallait en profiter ! »
Julie et Philippe ne sont pas les seuls à faire le grand saut. Comme en témoigne Jean Hamel, président de l'Association des échangistes du Québec : « À Montréal, si on ne compte que les grandes places comme L'Orage et Les Libertins, on peut facilement dire qu'il y a minimum 250 à 300 couples par semaine qui vont fréquenter ce milieu-là pour une première fois de leur vie. Et ce, depuis un an et demi. » L'échangisme, longtemps tabou, ferait donc son entrée à grandes pompes dans les mœurs de la société québécoise.
Des clubs, des saunas, des maisons privées ouvrent leurs portes aux fantasmes des échangistes. Et que dire des fameuses croisières torrides l'été sur le Fleuve Saint-Laurent…
« Ce qui fait qu'on est passé de 3 000 à 4 000 échangistes à Montréal pendant une vingtaine d'années à 2 000 nouveaux adeptes par semaine depuis deux ans dans tout le réseau québécois. Ce qui a amené l'échangisme sur la sellette à Montréal, ce sont les descentes policières de 1998-1999. En six mois, on a eu quatre descentes », relate M. Hamel. La montée du phénomène s'expliquerait donc selon lui par la couverture médiatique des journaux et des magazines. Et plus récemment, par la facilité d'accès à l'information par Internet, la publicité et les discussions entre amis et collègues de bureau.
Descentes policières et poursuites judiciaires
Il ne faut pas se leurrer, l'échangisme est encore dans un zone grise au Québec. Deux lois concernent les activités échangistes, l'une sur les maisons de débauche et l'autre sur la grossière indécence. Si Julie et Philippe sont pris dans une descente de police et reconnus coupables de s'être trouvés dans une maison de débauche, ils écoperont d'une amende sommaire de 250$ sans casier judiciaire. Mais ne vous inquiétez pas outre mesure pour eux, car depuis trois ans il n'y a pas eu de descentes policières dans des lieux échangistes. Christian Émond, relationniste au service de police de la ville de Montréal, signale que « les policiers n'interviennent que lorsqu'ils reçoivent des plaintes. On ne va quand même pas dégager des policiers sur des affaires de meurtres pour faire des enquêtes dans les milieux échangistes ! »
M. Émond tient aussi à préciser que la police ne fait qu'appliquer les lois et que souvent la société évolue plus rapidement que ces dernières. « Ce n'est vraiment pas une priorité d'aller voir ce qui se passe entre adultes consentants. C'est comme les danses à 10$. Un mois auparavant, on faisait plein de descentes et du jour au lendemain, on n'en faisait plus parce que la Cour suprême avait statué que c'était légal ! »
L'échangisme serait-il donc en voie de devenir légal au Québec ? M. Hamel reste confiant et attend l'issue du procès en appel fixé en septembre prochain pour une arrestation en mars 1998 de 67 personnes et de trois tenanciers dans l'ancienne bâtisse qu'occupait L'Orage. « On comprend très mal comment on pourrait nous dire que dans un endroit privé, où il n'y a pas d'alcool, où on ne paie pas pour avoir du sexe, où se sont des adultes consentants et majeurs, qu'on est illégal ! »
Le manuel du bon échangiste
Même si l'échangisme fait de plus en plus d'adeptes parmi ses rangs, reste que ce n'est pas pour tout le monde. Pour certains comme Julie et Philippe, c'est la curiosité et l'appel à de nouvelles sensations qui leur ont fait envisager ce type de pratiques sexuelles. « C'est tellement excitant et enivrant ! L'ambiance est là, on a juste envie de se laisser aller ! », confie Julie enjouée. La piste de danse du club L'Orage donne lieu à quelques coquineries. Les femmes délais-sent souvent leurs chemisiers pour des mains plus enveloppantes. Mais les ébats sexuels se déroulent ailleurs, soit dans une voûte bien aménagée ou au sous-sol où des lits attendent les nouveaux amants.
« Souvent les gens nous disent qu'on fait de l'échangisme pour tromper notre femme et qu'on a son accord de le faire. Mais le plaisir se prend des deux côtés ! », lance M. Hamel. Il faut bien comprendre que contrairement à ce qui est répandu, il y a un grand respect chez les échangistes. C'est pourquoi l'Association des échangistes du Québec organise des séances d'informations les vendredi et samedi dans les clubs L'Orage et les Libertins à Montréal. « Les nouveaux couples désireux d'essayer l'échangisme doivent respecter les choix de leur partenaire, ainsi que les limites sexuelles et de fantasmes de chacun », tient à préciser M. Hamel. L'association se porte garante du bon déroulement des activités échangistes chez ses membres.
Pas de place pour la jalousie dans l'échangisme. « Non, ça ne me dérange pas que Philippe soit parti avec une autre femme. J'y suis allée avec eux, mais je ne me sentais pas vraiment à ma place ! », déclare un peu mal à l'aise Julie. Et ne pensez pas qu'il suffit d'une petite baise ailleurs que dans votre lit conjugal pour soulager vos problèmes de couples. « Pour que la première expérience échangiste soit réussie, il faut que le couple soit sain, capable de communiquer, que les deux partenaires sentent que lorsqu'ils sortent du club qu'ils redeviennent un couple uni », indique M. Hamel.
Attention : dangers !
Les échangistes se qualifient d'épicuriens du plaisir. Ils disent s'adonner au sexe récréatif. Mais l'apothéose de l'orgasme comporte quelques risques psychologiques. « L'impact est difficile pour un homme, c'est sa validité masculine et sa performance sexuelle qui sont remises en cause lorsqu'il voit sa femme pénétrée par un autre homme », signale le sexologue Marc-André Juneau. « Pour certains, la notion d'exclusivité sexuelle n'est pas installée ou dépassée, c'est le plaisir qui les domine ! » Et c'est là que ça devient dangereux, lorsque l'échangisme est synonyme de mode de vie. « À un certain niveau, explique M. Juneau, c'est l'addiction, l'obsession, la quête perpétuelle de revivre la première expérience où l'excitation était au maximum. Alors, le sentiment amoureux dans le couple disparaît. Et souvent, les couples éclatent après avoir pratiqué pendant quelques temps l'échangisme ! ».
Et pourtant, la tendance ne va que s'intensifier
On retrouve dans les endroits échangistes des couples de 25 à 40 ans. Selon les prévisions de M. Hamel, cette clientèle pourrait bientôt rajeunir et atteindre les 18-25 ans. « À Montréal, ce n'est pas encore "in" d'être échangistes, même s'il y a beaucoup plus de couples qu'auparavant. J'ai passé du temps en Floride cet hiver et j'y ai visité les trois plus gros clubs. Le "Miami Velvet" reçoit le samedi soir 750 personnes et il y a un "line-up" dehors. Il y a beaucoup plus de jeunes gens qu'ici. Les propriétaires de clubs sont allés chercher la clientèle des discothèques. Ce n'est pas encore arrivé à Montréal. Mais attention, habituellement, on est un an ou deux en retard sur ce qui se passe aux États-Unis. Les raves seront bientôt dépassés, c'est l'échangisme qui va être "in" ! »
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